(Jacques ADNET, janvier 2020)
Il est important de prendre connaissance au mieux des défis qui nous attendent et de prendre conscience de l’état du monde dans lequel nous vivons et dans lequel nous voulons continuer à vivre le plus agréablement possible.
Je n’ai ni la prétention ni la volonté de faire un exposé complet sur la collapsologie, et encore moins de brosser un tableau détaillé de l’état du monde. Je reprendrai simplement une série d’éléments qui me semblent représentatifs ou important pour approcher et apréander la question de l’effondrement.
Commençons par quelques réflexions sur la croissance. On l’entend souvent répéter, un arbre ne peut croître jusqu’au ciel. Et pourtant ce principe est quasi systématiquement ignoré ou oublié lorsqu’on parle de « la Croissance ». La Croissance » est un des piliers, si pas le pilier, de notre société. Elle en est un moteur. Notre système économique, basé sur le crédit et son expansion, ne peut par nature vivre sans elle.
Pratiquement, nous nous attendons à ce que chaque année, le PNB croisse de x pourcents, entre deux et cinq généralement. Il se fait que cette croissance a un caractère exponentiel. Il ne s’agit pas d’une simple croissance linéaire. Cette différence est plus qu’un détail, voyons pourquoi.
Si j’épargne chaque année 5 euros, mon épargne va croitre linéairement. Le jour où j’ai 100 euros d’épargne et que je fais une projection en supposant que ce qui s’est passé jusqu’ici va continuer à se passer chaque année, je peux porter l’évolution de mon épargne dans le temps en graphique. J’obtiens une projection sous forme d’une droite ascendante. Par contre, si, grâce aux intérêts que je touche par exemple, j’épargne cette année l’équivalent de cinq pourcents de mon épargne existante je peux aussi me dire que cela va se reproduire chaque année. A ce moment, si je me projette dans l’avenir en disant que ce qui s’est passé cette année va se répéter d’année en année de façon constante, ce n’est plus le montant épargné chaque année qui dans mon esprit reste constant, mais le pourcentage d’augmentation de mon épargne. Voilà comment en ayant quelque part l’illusion de faire une projection linéaire dans le temps, en me disant, ce qui s’est passé une fois peut se reproduire chaque année et indéfiniment, je passe en réalité à une projection exponentielle, qui par nature ne peut être éternelle. Nous nous souvenons tous de nos cours de math et des fameuses asymptotes qui avaient la particularité si pas de nous inquiéter, du moins d’éveiller le mystère quand on se prenait à se demander ce qui pouvait se passer si on tentait de poursuivre la courbe jusqu’à sa limite.
Nous vivons avec l’idée encrée en nous que ce qui est arrivé dans le passé va continuer à se produire. Cette idée est naturelle et légitime. Elle est le fruit de l’expérience de la vie courante. Après la pluie vient le beau temps, les saisons reviennent chaque année, les générations se succèdent, ainsi va la vie. On peut trouver mille exemples qui nous confortent intuitivement dans cette idée. Mais là où le bas blesse, c’est quand on applique ce raisonnement non pas à la répétition d’un phénomène stable, mais à la répétition d’un phénomène qui est déjà lui-même en croissance. Tout le monde connait l’histoire de l’étang couvert de nénuphars. Si le nénuphar se reproduit tous les jours et double sa surface chaque jour, s’il couvre l’étang en 100 jours, quand avait-il couvert la moitié de l’étang ? La veille, bien sûr.
La croissance exponentielle n’est pas un phénomène isolé qui ne se retrouve que dans le cas de la croissance de notre économie, valorisée à travers le produit national. Il se retrouve dans des tas de domaines ou de systèmes. Ce qui ne veut pas dire non plus que tous ces systèmes sont appelés à disparaitre ou à exploser. Ils peuvent être appelés à évoluer, à passer à une autre étape, à un autre niveau, ou à stagner ou à régresser suivant les multiples cas. On peut ainsi s’intéresser brièvement au caractère exponentiel du développement que l’on retrouve à de multiples d’endroits dans notre univers. A commencer par l’univers lui-même qui est en expansion dans l’espace. On retrouve sans doute le caractère exponentiel au niveau de l’histoire de l’évolution de notre système solaire, ou de l’évolution de notre planète à travers les âges géologiques. On peut continuer avec l’évolution de la vie sur terre, et même l’évolution de l’homme sur terre. Les exemples de report de l’histoire de l’univers ou de la vie sur terre à l’échelle de l’année sont connus et impressionnants. C’est l’astrophysiciens américain Carl Sagan qui a eu le premier cette idée concernant l’histoire de l’univers. Réactualisé par Pierre Barthélémy (31/05/2017 – L’Histoire de l’Univers condensée en un an – lemonde.fr), on peut dire aujourd’hui que si l’année commence à zéro heure le premier janvier avec le Big Bang, les premières étoiles apparaissent dans la nuit du 2 au 3 janvier, les premières galaxies vers le 10 janvier, notre galaxie vers le 12 mai, notre système solaire et la terre, le 2 septembre et la vie sur terre dans les jours qui suivent. Le 14 décembre apparaissent les premiers animaux simples, les dinosaures naissent à Noël et disparaissent à l’aube du 30 décembre. Les grands singes nos lointains ancêtres apparaissent peu après 14 heures le 31 décembre, à 23h48 l’Homo Sapiens, les premières civilisations dans les 10 dernières secondes, l’ère chrétienne dans les dernières secondes. L’histoire de l’Homme ramenée à une année est tout aussi impressionnante. Le premier janvier, l’Homo Habilis, le feu le 3 novembre, l’Homo Sapiens le 26 décembre, l’écriture le matin du 31 décembre et la révolution industrielle et notre société capitaliste dans les dernières dizaines de minutes.
Pour tout système à croissance exponentiel, la question se pose de savoir ce qui va advenir lorsqu’il atteint ses limites. En réalité, il peut se stabiliser, soit simplement, soit après un période de trouble ou de dégradation partielle et passagère. Le niveau auquel il se stabilisera pourra être celui du sommet atteint précédemment ou plus bas suivant les cas. Enfin, le système peut également s’effondrer. Ce sera particulièrement le cas lorsque le système va générer lui-même des forces négatives susceptibles d’accélérer sa dégradation, de l’autoalimenter.
Le climat n’est peut-être pas en tant que tel au départ un système exponentiel, mais un système fragile qui a subi des dérèglements du fait de l’activité humaine et plus particulièrement de l’activité industrielle. L’activité humaine et l’impact de celle-ci croissent quant à eux de façon exponentielle. L’évolution du climat ainsi impacté en devient à caractère exponentiel. Les dégradations ainsi subies amènent le climat à un déséquilibre et une instabilité croissante. A cela s’ajoute le risque d’apparition de phénomènes endogènes susceptibles d’en accélérer la dégradation. J’en reprendrai un exemple. La fonte du permafrost dans certaines régions du nord du continent asiatique va dégager des matières organiques qui elles-mêmes en se dégradant vont dégager dans l’atmosphère du gaz carbonique qui va aller s’ajouter aux autres sources et renforcer l’effet de serre et ainsi amplifier le phénomène de dégradation.
Le climat n’est pas le seul domaine dans lequel la dégradation systémique a de quoi inquiéter.
De plus en plus de voix se font entendre, de plus en plus d’ouvrages sur la question sont édités.
Un des premiers auteurs à avoir abordé de front ce type de constat en mettant les points sur les i, est un ancien collaborateur du commandant Cousteau, Yves Pascalet, en 2013, dans un ouvrage intitulé « l’humanité disparaitra, bon débarras ». Il est symptomatique qu’à l’époque, quelques mois plus tard, l’auteur se soit senti obligé de se justifier et en quelque sorte de s’excuser pour avoir été trop loin. Il est fort à parier qu’aujourd’hui cette démarche post publication n’aurait plus lieu d’être. L’ouvrage déjà cité de Pablo Servigne et Raphaël Stevens de 2015, « comment tout peut s’effondrer, petit ouvrage de collapsologie à l’usage des générations présentes » est bien sûr très enrichissant et très bien détaillé sur le sujet.
Pour identifier les différents systèmes au bord du déséquilibre, je vous renvoie à la liste que je vous ai proposée hier. J’y ajouterai un point qui s’en est échappé à la faveur d’un coupé/collé :
La fragilité extrême de l’équilibre de la terreur en matière de défense et d’armement. La maîtrise de l’arsenal nucléaire et risque d’apocalypse. La complexité technique, organisationnelle ou décisionnelle. Bien qu’on n’en parle peu ou pas, de l’avis de certains, l’arsenal militaire nucléaire est aussi, si pas plus important et diversifié que durant la guerre froide. De plus il est dans des mains plus nombreuses et parfois bien moins entretenu ou surveillé.