
La fast fashion, désastre écologique
( JOHANN HARSCOËT 21 août 2020)
La culture de l’apparence sur les réseaux sociaux et la mondialisation des chaînes de production ont entraîné une explosion de la demande dans le prêt-à-porter, toujours moins cher. Ce phénomène est dévastateur en termes d’émissions de gaz à effet de serre, de ressources naturelles et de pollution.
Un dimanche matin sur Instagram. La page #ootd permet d’avoir un aperçu de toutes les ultimes tendances de la mode, en temps réel. Le hashtag #ootd – « outfit of the day », ou « tenue du jour » – est naturellement l’un des plus populaires du réseau social. En cinq minutes, plus de 800 nouveaux posts apparaissent, portant le total à plus de 315 millions.
Naviguer sur les profils des modèles, plus ou moins professionnels, ne laisse aucun doute: ces tenues du jour sont bien les tenues d’un seul jour. Plus jamais elles ne seront postées. Peut-être même ne seront-elles plus jamais portées.
Une étude de l’ONG britannique Barnado’s a mis en évidence l’émergence d’une culture du « wear it once » dès 2015, alors que peu d’utilisateurs de Facebook avaient déjà migré vers Instagram, où l’image parle davantage que l’anecdote. Un tiers des 1.500 femmes interrogées indiquaient qu’un vêtement était déjà « ancien » après avoir été porté plus de trois fois.
Un autre sondage, réalisé en 2018 par Barclaycard, relevait que 17% des consommateurs de 35 à 44 ans achetaient des vêtements de marque avec le seul objectif d’apparaître ainsi vêtus sur les réseaux sociaux. 12% des hommes avouaient s’être fait rembourser des vêtements après s’être affichés avec sur les réseaux.
CONSEIL
Quatre fois plus de vêtements en quarante ans
Une étude d’un collectif de chercheurs, « The environmental price of fast fashion », parue au printemps dernier dans le journal scientifique Nature Reviews Earth and Environment, dresse un bilan calamiteux de la tendance au prêt-à-porter toujours plus fugace et toujours moins cher.
Selon les auteurs, le nombre de vêtements achetés chaque année en Europe a augmenté de 40% depuis le début du millénaire. Ces 40% correspondent également, approximativement, à la réduction du nombre de fois où un même vêtement est porté. Les chiffres sont encore plus impressionnants au Royaume-Uni sur une plus longue période: chaque Britannique achetait en moyenne 5,9 kilos de vêtement en 1975. Il en consomme aujourd’hui 26,7 kilos. Au niveau mondial, la consommation est de 13 kilos en 2019.
Les auteurs de l’étude estiment que la « ‘fast fashion’ repose sur la consommation récurrente et sur l’achat compulsif, qui instille un sentiment d’urgence au moment de la transaction. »
La capacité à acheter des vêtements d’un simple clic ou d’un simple swipe, sur smartphone, accélère ce phénomène d’achat capricieux. D’autant plus que les livraisons peuvent désormais être réalisées en quelques heures, avec la possibilité d’essayer de chez soi les produits puis de les retourner pour un échange de taille ou un remboursement. L’augmentation de ce phénomène de fast fashion est de 2% chaque année.
De façon frappante, l’optimisation des processus de production et l’expansion commerciale ont considérablement réduit les prix depuis l’après-guerre. Cela a permis aux consommateurs européens de posséder toujours plus de vêtements tout en payant toujours moins. Leurs dépenses moyennes atteignaient 30% de leur budget dans les années 50, puis 12% à la fin des années 2000, et seulement 5% en 2020, grâce notamment à des sites comme ASOS et Amazon.
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D’après l’étude parue dans Nature Reviews Earth and Environment, chaque kilo de vêtement utilisé nécessite quelque 200 litres d’eau pour sa production.
Les dommages ne s’arrêtent pas là, car le processus de lavage en machine entraîne une évacuation des microfibres vers les mers et les océans. Ainsi, un tiers des microplastiques qui y finissent sont produits par les vêtements.
En quantité de dioxyde de carbone, l’industrie du prêt-à-porter émet au total 2,9 milliards de tonnes de Co2 chaque année.
Dans son ouvrage, « What we need to do now » (2020), l’économiste Chris Goodall, estime que « la mode représente environ 3 à 4% de l’empreinte carbone britannique. Il s’agit de l’empreinte domestique la plus élevée, après la vie dans le foyer, l’utilisation de la voiture, le transport aérien et l’alimentation. » Mais cette contribution n’est pas toujours comptabilisée, en raison de l’éclatement du processus de production dans d’autres pays fournissant les matières premières.
« C’est l’économie ‘linéaire’ dans ce qu’elle a de plus destructeur, estime Goodall. Cela commence avec une pollution environnementale sévère, principalement dans les pays les moins prospères où les vêtements sont fabriqués, et c’est suivi par une courte période d’utilisation, et enfin par un sérieux problème de gestion des déchets. »
Comme la crise du coronavirus l’a montré, la chaîne de fabrication est appelée à devenir un sujet central dans les années à venir, même si les problématiques sanitaires ou sécuritaires sont limitées dans le cas du prêt-à-porter.
Chaîne logistique à rallonge
Selon les auteurs de l’étude sur l’impact environnemental de la ‘fast fashion’, « chaque étape de la production de vêtements se fait dans un pays différent, ce qui augmente les étapes logistiques entre les processus, en fonction des décisions économiques. Étant donné que les pays en voie de développement ont généralement un avantage compétitif sur les coûts de fabrication et de travail, la production de textile a migré vers ces nations. » Sans surprise, la Chine est leader en la matière. Les autres pays sont le Bangladesh, le Cambodge, le Vietnam, le Pakistan et l’Indonésie. Les processus de création et de design, au tout début de la chaîne, se situent principalement dans l’Union européenne et aux États-Unis, où les marques ont leur siège.
Après la phase de fabrication, les vêtements sont transférés vers des grands hubs de distribution, puis vers les magasins essentiellement situés dans les grandes villes ou dans l’ensemble du territoire des pays développés. Le transport se fait par paquebots, mais aussi, de plus en plus, par avion, notamment pour répondre à la demande grandissante en termes de rapidité, pour les ventes en ligne. Il est estimé qu’une augmentation de 1% du transport par avion cause un accroissement de 35% des émissions de carbone.
Le coût environnemental lié au transport ne s’arrête évidemment pas à l’achat final par l’utilisateur. Les vêtements dont il ne veut plus retournent dans une nouvelle chaîne logistique, soit pour être recyclés, soit pour être brûlés ou enfouis, souvent en Afrique, après un nouveau transport par bateau. Une infime proportion, moins de 1%, est recyclée en nouveaux vêtements, et seuls 13% des vêtements sont réutilisés pour d’autres produits moins sophistiqués, comme des draps ou des torchons.
Volume de production multiplié par trois d’ici 2050
Alors que l’ensemble des pays occidentaux s’est engagé à fortement réduire ses émissions de gaz à effet de serre, voire à être « neutres », l’ensemble des émissions de CO2 lié à l’achat de prêt-à-porter n’est pas compté dans leurs objectifs, pour la simple et bonne raison que ces produits sont fabriqués en quasi totalité en dehors de leur territoire. Comptabiliser les émissions précises pour chaque achat est quasiment impossible.
La tendance n’est pas près de s’inverser, puisque le volume global de vêtements fabriqués devrait être multiplié par trois d’ici 2050. En dehors des changements de comportements individuels, les solutions apparaissent pour l’instant limitées.