Quel tourisme «après Covid» ?

( Paloma AGRASOT, 11 septembre 2020 )

La crise du Covid a mis en lumière les disfonctionnements du « système d’avant parmi lesquels la pression du tourisme sur les populations locales, l’environnement ou le climat.

Elle a aussi montré quels pourraient être les effets bénéfiques sur les destinations touristiques d’un mode de vie plus proche de la nature et plus humain. A Venise, Dubrovnik, Majorque et en bien d’autres lieux les habitants ont pu redécouvrir pendant le confinement une qualité de vie qu’ils avaient oublié !

Il est plus que temps de repenser nos voyages et relations avec le monde, de définir des politiques et des instruments qui permettent de renverser les tendances et sauvegarder l’environnement naturel et humain chez nous et ailleurs[i].

Depuis l’antiquité l’homme a voyagé pour connaître, apprendre, découvrir … les voyages ont permis de diffuser et transmettre les savoirs et les cultures, ils ont créé des liens entre les civilisations. Les voyages ont été à l’origine de découvertes, invasions et conquêtes.  Ils ont aidé à façonner l’histoire du monde.

Le « tourisme » à proprement parler se développe au XVIIe siècle lorsque les classes aristocratiques britanniques envoyaient leurs héritiers faire le « Grand Tour » dans le continent, notamment en Italie et autres pays de la Méditerranée pour leur faire connaître d’autres horizons et leur apprendre à gérer leurs biens plus tard.[ii]

Depuis lors, l’activité touristique a progressivement séduit toutes les classes sociales, d’abord les élites et la bourgeoisie, puis les classes moyennes et ouvrières. Le tourisme s’est particulièrement développé avec la généralisation des congés payés et l’augmentation du temps libre.

Les vacances sont devenues (presque) accessibles à tous les budgets par le biais de tarifs sacrifiés, de vols « low-cost » ou de paquets « all inclusive ». Chacun à son niveau aspire à partir, parfois très loin à l’autre bout de la planète, une ou plusieurs fois dans l’année si son portefeuille le lui permet.

Depuis les années 80s la croissance du tourisme a été exponentielle. Le « tourisme de masse » tout autant que le tourisme d’élite, « envahit » et détruit progressivement la nature des plus beaux endroits de la planète.  En Méditerranée les infrastructures touristiques se sont progressivement étalées le long des côtes de l’Italie, l’Espagne, la France, la Grèce. Elles gagnent du terrain au sud du Bassin Méditerranéen, au Maroc, en Tunisie, et ailleurs. Partout, disparaissent les forêts et les zones humides côtières dont le rôle écologique est essentiel, notamment pour assurer la migration des oiseaux entre les deux continents[iii]. Les espaces protégés sur les côtes de la Méditerranée sont rares et souvent menacés par de nouveaux projets touristiques comme c’est le cas actuellement du Cabo de Gata (Almeria)[iv]

Le développement touristique a d’énormes impacts sur la qualité de l’eau et de l’air.  Faute de traitement approprié des eaux usées et des déchets[v], et avec l’intense trafic maritime en prime, la Méditerranée devient une des mers les plus polluées de la planète. Sa richesse halieutique a fortement diminué surtout dans sa partie orientale. D’après le WWF[vi], le tourisme serait à l’origine de 52% des déchets en mer Méditerranée. Les bateaux de croisières contribuent pour beaucoup à cette dégradation de l’environnement. Suivant Transport & Environnement[vii],  en 2017, les quarante-sept bateaux du groupe Carnival (dont Costa Croisières, et bien d’autres[viii]) ont émis dix fois plus d’oxyde de soufre que toutes les voiture européennes réunies, alors même qu’ils représentent moins d’un quart de la flotte de croisière  européenne.

L’activité touristique représente 10,3 % du PIB mondial selon le World Travel and Tourism Council[ix]. La dépendance aux revenus du tourisme varie entre 5 et 12 % parmi les pays du pourtour Méditerranéen.  Les revenus du tourisme profitent en premier lieux aux gouvernements et aux entreprises touristiques de tout bord, allant du Club Méditerranéen, aux Sociétés de Croisière ou La Compagnie des Alpes [x]

A côté de cela, on peut douter des bénéfices que les populations locales tirent du tourisme puisque, en fin de compte, les emplois dans ce secteur sont souvent peu qualifiés, peu rémunérés et saisonniers et instables. De plus, le tourisme étant très sensible aux variations géopolitiques, ce sont les travailleurs locaux qui ont souffert le plus d’évènements tels les vagues d’attentats au Maroc ou en Tunisie, les révoltes liées au Printemps arabes, le conflit israélo-palestinien, et l’instabilité générale dans le Moyen Orient et dans les pays arabes depuis 2011.

Une des conséquences du tourisme à outrance c’est l’homogénéisation des lieu d’accueil partout dans le monde. En effet, les populations locales ont dû s’adapter aux us et coutumes étrangères des touristes, perdant ainsi leurs propres valeurs culturelles, leurs terres et moyens de subsistance traditionnels ainsi que leurs métiers ancestraux[xi].

Le « touriste type » souhaite profiter un maximum de ses vacances, s’informe peu à l’avance et peut donc passer à côté de drames humains qui se jouent à proximité, notamment en Méditerranée, où les migrants débarquent par milliers sur les plages (s’ils ne meurent pas en chemin) et sont entassés dans des centres surpeuplés comme à Lampedusa[xii].

Les voyages contribuent à augmenter l’effet de serre, notamment les voyages en avion qui, avant le Covid, constituaient le moyen de transport touristique par excellence « grâce » aux tour operateurs bon marché.

En ce temps de pandémie, l’avion semble jouer un rôle majeur dans la diffusion des épidémies[xiii] . Cela a été démontré notamment en 2020 par le  professeur Sansonetti du Collège de France ainsi que par une équipe franco-américaine étudiant le diffusion du syndrome du SARS en 2003 : « la mobilité des personnes et les déplacements sur les liaisons aériennes commerciales sont le principal canal de propagation des maladies émergentes à l’échelle mondiale »[xiv]

L’été 2020 touche à sa fin. Le relâchement après le confinement drastique du printemps confirme-t-il ces affirmations ?  Certes les déplacements en avion ont drastiquement diminué, mais il y en a encore des vols. On observe une augmentation importante du nombre de nouveaux cas Covid dans les pays d’accueil, l’Espagne en tête, mais aussi la France ou la Grèce. Avec le retour des vacanciers ayant séjourné dans ces pays, par exemple en Belgique, on note déjà une certaine augmentation des cas ….

Cela veut dire que nous ne pourrons plus bouger ? Difficile à accepter pour le commun des mortels que nous sommes. Jusqu’ici nous avons choisi nos voyages en fonction de nos envies et de nos moyens.  Les voyages ont fait part de notre rythme de vie. Certains en sont devenus boulimiques, ne pouvant plus s’en passer.  Pourtant ….« Il n’est plus possible de « tout sacrifier aux seuls impératifs économiques ou au seul hédonisme irresponsable de ceux qui ont les moyens de passer leurs vacances à l’autre bout du globe…il n’est plus possible d’ignorer les conséquences de nos modes d’être»[xv].

Il va donc falloir apprendre à vivre autrement dans l’après COVID, repenser notre relation aux autres, à la nature, au « monde » tout près et au plus lointain. Il va falloir revoir nos envies, devenir plus ouverts, vivre autrement le sens du voyage. Partir encore, mais partir moins loin, moins souvent dans un esprit plus solidaire. Voyager lorsque cela se justifie, pour retrouver nos proches restés au loin bien trop longtemps, pour se reconnecter avec nos origines. Partir mais peu (ou plus du tout?) en avion, se déplacer en train autant que possible.

Ou même… ne pas partir ? saisir cette « chance d’explorer un nouveau rapport au réel, … toute une magie mystérieuse de l’ici est à réapprendre… avant de désirer parcourir la planète pour découvrir l’altérité a-t-on seulement pensé à parler avec son voisin de palier ? Avons-nous seulement commencé à regarder vraiment les animaux et les arbres qui nous entourent ? »[xvi] Cette magie, plusieurs d’entre nous l’avons expérimentée et appréciée pendant le confinement… il nous a appris à connaître nos insuffisances et les merveilles de notre quotidien. En le poussant plus loin, cet inventaire de nos conditions de vie devrait nous permettre de rendre vivable dans notre entourage ce qui nous pousse à partir à l’autre bout du monde pour l’oublier.

Une nouvelle approche se met en place. Les pratiques douces comme le vélo-tourisme, la randonnée ou le tourisme itinérant ont le vent en poupe. Face aux géants du tourisme (Booking, Airbnb…) de nouvelles initiatives plus soucieuses des impacts environnementaux se développent actuellement, telles Fairbooking, Vao Vert ou Fairbnb[xvii].   Ces nouvelles initiatives sont utiles mais ne seront pas suffisantes. Elle devront s’inscrire dans une réflexion plus large puisque « plus que de formes alternatives de tourisme ce sont des alternatives au tourisme » [xviii]qu’il faut trouver.

C’est clair, qu’on le veuille ou pas, il sera nécessaire de changer et de partager. « Changer » nos rapports aux autres et à la nature. « Partager » avec l’ensemble de la planète. Promouvoir la « vivabilité »[xix] du monde par une solidarité ouverte à l’ensemble du vivant en retrouvant ainsi le sens de voyage en tant qu’expérience en mouvement.

Au niveau personnel il va falloir se limiter, aller à l’essentiel, prendre plaisir de ce qui nous est proche, choisir ce qui nous est vraiment nécessaire pour notre équilibre en voyageant parfois un peu plus loin mais avec mesure et réflexion et sans atteinte aux autres ni à la nature. Un grand défi pour nous tous !

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[i]Le Monde Diplomatique (LMD) a publié en juillet 2020 un dossier très complet sur « Tourisme, Année Zéro ». 

[ii] Bertrand Réau et Christophe Guibert, « Des loisirs à la chaîne » LMD juillet 2020

[iii] La côte marocaine est de plus en plus sollicitée par les promoteurs étrangers. Malgré une forte opposition de la population locale et des ONG, de nouveaux ressorts remplacent des zones à haute valeur écologique comme celui de Saidia Beach construit sur la plaine littorale de la Moulouya entre le Maroc et l’Algérie. Depuis très longtemps les environnementalistes dénoncent les atteintes à l’environnement par l’industrie touristique. Berriane, Mohamed, « Développement touristique, urbanisation du littoral Méditerranéen et environnement » http://www.iamb.it/share/img_new_medit_articoli/836_19berriane.pdf.

[iv] Un hôtel est prévu dans la plage sauvage des Genoveses.

[v] Les îles doivent gagner du terrain sur la mer pour créer des décharges (à Malte p.e)

[vi] « Reviving the economy of the Mediterranean sea. Actions for a sustainable future” WWF Mediterranean Marine Initiative, Rome 2017

[vii] One Corporation to pollute them all. “Luxury cruise air emissions in Europe” Bruxelles 2019

[viii] P&O Cruises, Princess Cruises, Aida Cruises, Cunard Lines, Sea Burn, Holland America Line.   

[ix] Des loisirs à la chaine, LMD, juillet 2020 p 13. Voir notamment la carte sur la dépendance au tourisme.

[x]« La Compagnie des Alpes (CDA) continue de miser sur l’enneigement artificiel et voit plutôt dans le changement climatique une occasion économique (à court terme) car elle possède les domaines les plus élevés » Dans : Barnabé Binctin et Pierre Dequesne, « La Compagnie des Alpes ou l’Etat stratége en perdition », LMD juillet 2020

[xi] A Djerba en Tunisie, les promoteurs touristiques ont acheté l’oasis du sud-ouest de l’île pour y implanter leur hôtels et espaces de loisirs. L’oasis était la seule zone de culture d’une population essentiellement agricole. Les habitants ont dû abandonner le travail de la terre et trouver des petits métiers au service des vacanciers.  

[xii] « Toute la singularité de Lampedusa semble se résumer dans ce parallèle saisissant de deux mondes, si lointains et si proches à la fois : celui des touristes insouciants et des migrants qui franchissent par centaines cette porte de l’Europe, bravant la Méditerranée depuis les côtes voisines de la Tunisie. » Dans Olivier Bonnel, « Migrations en Méditerranée », Le Monde 1/9/2020.

[xiii] Philippe Sansonetti « Covid 19 ou la chronique d’une émergence annoncée » Collège de France, 18 mars 2020 2020

[xiv] Vittoria Colizza et al. « Predictability and epidemic pathways in global outbreaks of infectious diseases: The SARS study” BMC Medicine, London, 21 November 2007.

[xv] Aurelien Barrau, Le plus grand défi de l’histoire de l’Humanité, Michel Laffont, 2020, p.46

[xvi] Aurelien Barreau, Id. p.45.

[xvii] Geneviève Clastres, « A la recherche du voyage écoresponsable », LMD dossier Tourisme, juillet 2020

[xviii] Philippe Bourdeau, Le bout du monde en bas de chez soi, LMD dossier Tourisme, juillet 2020.

[xix] Rodolphe Christin, Répartir, mais pas comme avant… LMD, juillet 2020

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