Lutter contre la misère et établir la justice environnementale : un seul combat

Olivier de Schutter et Marie Toussaint — 17 octobre 2020 )

Tableau « Périgord_en_hiver » de Marie Cornélis ( voir : http://www.mariecornelis.be)

Depuis 1987, sur proposition d’ATD Quart Monde, le 17 octobre est consacré au refus de la misère. Cette année l’ONU a décidé de placer cette journée mondiale sous le signe de la lutte conjointe pour les justices sociale et environnementale. Et il y a de bonnes raisons pour cela.

D’abord, parce que la destruction de l’environnement et ses conséquences frappent en premier lieu les plus pauvres d’entre nous. Ce sont les personnes en grande pauvreté qui habitent dans les zones les plus polluées, et souvent dépourvues d’espaces verts. Ce sont elles qui occupent en majorité les emplois – 1,2 milliards d’emplois dans le monde, 40% de l’emploi mondial – qui dépendent le plus de la préservation des écosystèmes. La pandémie que nous traversons illustre elle-même les liens entre destruction des écosystèmes et pauvreté. Issue du saut d’un virus de l’animal -dont les habitats sont largement détruits- aux humains, elle a renforcé les inégalités. Cent cinquante millions de personnes vont basculer dans l’extrême pauvreté dans le monde. Des hommes et des femmes qui n’ auraient jamais pensé avoir besoin d’aide font aujourd’hui la queue devant les banques alimentaires aux États-Unis, en Espagne, en Grande-Bretagne, en France. Files d’attentes devant les labos. Files d’attentes devant les Restos du Cœur. Files d’attente aussi au 115 et pour les demandes de logement sur l’ensemble du territoire et dans des proportions rarement atteintes.

Le dérèglement climatique, les atteintes à la biodiversité ou la déforestation dans le monde comme sur le territoire européen ont toujours les mêmes effets : rendre plus difficiles encore les conditions de vie des plus précaires, créer une nouvelle pauvreté, violer les droits fondamentaux, le droit à la vie, à la famille, à la santé, à la dignité.

Ensuite, parce que si l’urgence climatique et environnementale requiert une transformation profonde de nos sociétés, celle-ci ne peut se traduire par un renforcement des inégalités. Or, certaines des solutions mises en œuvre face à la destruction de l’environnement ont en ce sens été dangereuses : taxe carbone injuste en France, expulsion de populations pauvres pour protéger des zones qui certes devraient l’être mais sans co-élaboration de ces mesures, parc éolien par la firme française EDF au Mexique sur des terres autochtones sans consultation libre et préalable…. Parfois même, l’environnement sert de prétexte pour exclure et bafouer les droits humains, comme l’on peut le constater auprès de plusieurs familles issues des gens du voyage en France.

La transformation écologique, absolument nécessaire, ne réussira que si elle est perçue comme légitime, et si elle répartit les efforts équitablement. La «transition juste» ne signifie pas seulement qu’il nous faut compenser les perdants de la transition, par exemple les régions dépendant de la production du charbon ou les travailleurs et travailleuses du secteur des énergies fossiles: elle signifie que la transformation écologique doit devenir le levier même d’une société plus solidaire.

De même que la transformation écologique ne réussira que si elle contribue à la lutte contre la pauvreté, de même la garantie des droits environnementaux est essentielle à toute politique de lutte contre l’exclusion sociale. Dans les dix pays les plus pauvres du monde, on trouve systématiquement les infections respiratoires aiguës et les maladies diarrhéiques parmi les 5 premières causes de mortalité. Pourquoi ? Parce que les infrastructures sanitaires pour le traitement de l’eau sont insuffisantes et les sources d’énergie rudimentaires pour les activités domestiques persistantes. La pollution de l’air cause 6 à 7 millions de morts prématurées chaque année. Pourquoi ? Parce que les citadin·es des pays à l’urbanisation rapide sont les plus exposé·es à la pollution atmosphérique, ainsi que les quelque 3 milliards de personnes contraintes à utiliser des combustibles comme le bois, le charbon, les résidus de récolte, la bouse ou le pétrole lampant pour faire la cuisine, se chauffer et s’éclairer. Plus de 3,2 milliards de personnes dans le monde vivent sur des terres dégradées par l’agriculture intensive ou la déforestation. En France on estime que 13,5% des salariés seraient exposés à un ou plusieurs agents cancérogènes au cours de leur activité professionnelle, soit environ 2 370 000 salariés, dont 70 % d’ouvriers, majoritairement des hommes (84 %). Et le décile le plus riche a toujours une espérance de vie de plus de 13 ans plus longue que les plus pauvres. Pourquoi ? Ici encore, parce que les droits environnementaux sont violés, et que les personnes en pauvreté en sont les premières victimes.

Le 5 juin dernier, à l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits humains et l’environnement, David Boyd, a rappelé l’urgence de s’attaquer aux facteurs de perturbation du climat, de perte de biodiversité et de pollution, et il a appelé à la reconnaissance d’un droit à un environnement sain, déjà consacré par 156 États : ce droit, dit-il, «pourrait s’avérer être l’un des droits humains les plus importants du XXIe siècle». Une campagne a été lancée par les ONGs, que le Parlement européen doit soutenir afin que chaque Etat membre intègre enfin ce droit dans sa constitution nationale. Le premier effet d’un renforcement du droit à un environnement sain sera de mieux protéger la santé et les conditions de vie des plus pauvres.

Nous pouvons réussir ce défi: combattre la pauvreté tout en réussissant la transition écologique. Celle-ci peut favoriser la création d’emplois de qualité, dans les secteurs des énergies renouvelables, de la rénovation des bâtiments, ou de l’économie circulaire. Elle peut favoriser l’accès à la mobilité pour tous et toutes, par des investissements dans les transports en commun, et aider à réduire la facture énergétique des ménages. Elle peut enfin permettre l’accès de chacun à une alimentation saine et durable. Il n’y a pas à choisir entre transition écologique et justice sociale: les deux peuvent et doivent se soutenir mutuellement.

Ce 17 octobre, les organisations écologistes marcheront aux côtés des associations de lutte contre la grande pauvreté. Car plus que jamais, nous devons rappeler que les droits humains sont inter-reliés. Nous souvenir, aussi, des mots gravés sur la dalle scellée le 17 octobre 1987, sur le parvis du Trocadéro à Paris par le Père Joseph Wresinski : «Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’Homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré». De toutes nos forces, nous devons nous lancer, avec les plus pauvres, dans la bataille pour l’éradication de la pauvreté et la justice environnementale.

Olivier de Schutter Rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme. , Marie Toussaint députée européenne EELV

SOURCE : https://www.liberation.fr/debats/2020/10/17/lutter-contre-la-misere-et-etablir-la-justice-environnementale-un-seul-combat_

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