
Des impulsions politiques intéressantes.
( jean-pierre hannequart
20 janvier 2020)
INTRODUCTION
Le Pacte vert pour l’Europe est une feuille de route présentée par la Commission européenne en décembre 2019 (1) avec un objectif de neutralité climatique à l’horizon 2050. Cette communication vise à rendre l’économie de l’UE plus durable sous tous ses aspects.
Au cours de l’année 2020, le dit Pacte a été décliné en une bonne dizaine de stratégies thématiques. (2)
Toutes ces stratégies comportent de multiples orientations politiques qui nous semblent intéressantes à relever et à synthétiser. Nous allons les passer en revue en les regroupant successivement autour des thématiques suivantes :
- climat
- biodiversité
- énergie
- économie circulaire
- alimentation
- bâtiments
- produits chimiques.
POUR LE CLIMAT
Un Plan cible publié le 17 septembre 2020 (3) porte les ambitions européennes, pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, à au moins 55 % d’ici à 2030. Il prévoit notamment :
- une intégration de cet objectif dans une loi européenne sur le climat ;
- une révision du système d’échange de quotas d’émission de l’UE;
- un renforcement des politiques en matière d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables;
- de nouvelles normes en matière d’émissions de CO2 pour les véhicules routiers.
En outre, un Pacte européen pour le climat a été lancé en décembre 2020 (4) : il s’agit d’un appel ouvert invitant les personnes et les organisations à devenir des ambassadeurs du pacte pour le climat. Ces ambassadeurs se doivent de montrer l’exemple et d’associer leurs communautés à l’action pour le climat. Quatre domaines d’action prioritaires sont retenus : les espaces verts, la mobilité verte, les bâtiments économes en énergie et les compétences professionnelles liées aux emplois verts.
En ce qui concerne spécifiquement le méthane, une stratégie a été publiée le 14 octobre 2020. (5) Rappelons que le méthane (CH4) est le deuxième contributeur au changement climatique après le dioxyde de carbone (CO2) en même temps qu’un puissant polluant atmosphérique local, causant de graves problèmes de santé. La stratégie de l’UE prévoit d’abord des mesures et déclarations plus précises des émissions : notamment via une détection par satellite des super-émetteurs et la création d’un observatoire international des émissions de méthane avec les Nations unies. Ensuite, sont programmées des mesures d’atténuation plus efficaces : notamment via un soutien ciblé pour accélérer le développement du marché du biogaz provenant de sources durables , une promotion des meilleures pratiques et technologies afin de réduire les émissions agricoles, une obligation d’améliorer la détection et la réparation des fuites dans toutes les infrastructures de production, de transport et d’utilisation de ce gaz fossile.
POUR LA BIODIVERSITE
Une Stratégie européenne en faveur de la biodiversité a été publiée le 20 mai 2020. (6) Cette Stratégie retient, à l’horizon 2030, les objectifs suivants :
- créer des zones protégées représentant au moins: 30 % des terres et 30 % des mers en Europe ;
- restaurer les écosystèmes terrestres et marins dégradés dans toute l’Europe
/ en étendant l’agriculture biologique ;
/ en rétablissant au moins 25 000 km de cours d’eau à courant libre dans l’UE ;
/ en plantant 3 milliards d’arbres d’ici à 2030 ;
/ en réduisant de 50 % d’ici à 2030 l’utilisation des pesticides.
Pour ce faire, il est prévu de débloquer 20 milliards d’euros par an.
POUR L’ENERGIE
L’ensemble du système énergétique a été visé par une stratégie le 8 juillet 2020 en même temps que l’hydrogène. (7) Des objectifs spécifiques pour les énergies renouvelables en mer ont aussi été adoptés le 19 novembre 2020. (8)
La stratégie européenne pour l’intégration du système énergétique comporte trois piliers principaux :
- premièrement, un système énergétique plus «circulaire», centré sur l’efficacité énergétique. (Il est question d’utiliser plus efficacement les sources d’énergie locales dans nos bâtiments ou communautés. L’accent est mis sur la réutilisation de la chaleur résiduelle provenant de sites industriels, de centres de données ou d’autres sources, et d’énergie produite à partir de biodéchets ou dans les stations d’épuration des eaux usées).
- deuxièmement, une électrification directe accrue des secteurs d’utilisation finale.
(Est ciblée l’utilisation de l’électricité par exemple, pour les pompes à chaleur dans les bâtiments, les véhicules électriques dans les transports ou les fours électriques dans certaines industries. Un réseau d’un million de points de recharge pour véhicules électriques est envisagé de même que l’expansion de l’énergie solaire et de l’énergie éolienne) ;
- en outre, pour les secteurs où l’électrification est difficile, des combustibles plus propres, notamment de l’hydrogène renouvelable et des biocarburants et biogaz durables devraient être promus.
En ce qui concerne spécifiquement l’hydrogène, la stratégie européenne prévoit :
- d’ici à 2024, de soutenir l’installation d’une capacité d’au moins 6 gigawatts d’électrolyseurs pour la production d’hydrogène renouvelable dans l’UE, avec l’objectif de produire jusqu’à un million de tonnes d’hydrogène renouvelable;
- de 2025 à 2030, de faire en sorte que l’hydrogène fasse partie intégrante de notre système énergétique intégré, avec une capacité d’au moins 40 gigawatts d’électrolyseurs pour la production d’hydrogène renouvelable et une production allant jusqu’à dix millions de tonnes d’hydrogène renouvelable dans l’UE;
- de 2030 à 2050, de déployer à grande échelle les technologies utilisant l’hydrogène renouvelable dans tous les secteurs difficiles à « décarboner ».
L’exécutif européen incite les Etats membres à investir dans l’hydrogène vert à travers les fonds alloués dans le cadre du plan de relance. Il a aussi lancé, le 23 octobre 2020, l’alliance européenne pour un hydrogène propre. (9)
Quant aux énergies renouvelables en mer, la stratégie de novembre 2020 propose de porter la capacité de production éolienne en mer de l’Europe de 12 GW actuellement à au moins 60 GW d’ici à 2030 et à 300 GW d’ici à 2050. Sur la même période, la Commission entend compléter cette augmentation de capacité par 40 GW provenant de l’énergie océanique et d’autres technologies émergentes telles que l’énergie éolienne flottante et l’énergie solaire flottante. Sont en jeu des investissements de près de 800 milliards d’euros d’ici à 2050.
POUR L’ECONOMIE CIRCULAIRE
Le 11 mars 2020 a été publié un nouveau Plan d’action pour l’économie circulaire.(10) Ce plan prévoit diverses mesures visant à :
- faire en sorte que les produits durables deviennent la norme dans l’UE ;
- donner aux consommateurs les moyens de choisir ainsi qu’un véritable «droit à la réparation» ;
- garantir moins de déchets ;
- rendre plus circulaire des secteurs-clefs (matériel électronique et TIC ; batteries et véhicules ; emballages ; matières plastiques ; textiles ; construction et bâtiments ; denrées alimentaires) .
Parmi toutes les mesures programmées (11), retenons:
- une proposition législative sur la justification des allégations écologiques ;
- la formulation de critères et objectifs obligatoires en matière de marchés publics écologiques ;
- des exigences obligatoires relatives à la teneur en matières plastiques recyclées ;
- des restrictions quant aux microplastiques ;
- une stratégie de l’UE pour les textiles ;
- un modèle harmonisé pour les collectes sélectives de déchets.
POUR L’ALIMENTATION DURABLE
Une Stratégie « de la ferme à la table » pour un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement a été adoptée le 20 Mai 2020 (12) .Cette Stratégie vise notamment à :
- réduire de 50 % l’utilisation et les risques des pesticides chimiques d’ici à 2030;
- diminuer d’au moins 50 % les pertes de nutriments sans détérioration de la fertilité des sols;
- diminuer le recours aux engrais d’au moins 20 % d’ici à 2030 ;.
- réduire de 50 % les ventes d’antimicrobiens destinés aux animaux d’élevage et à l’aquaculture d’ici à 2030 ;
- porter la part de l’agriculture biologique à 25 % de la superficie agricole totale ;
- réduire de moitié le gaspillage alimentaire par habitant aux niveaux du commerce de détail et du consommateur d’ici à 2030.
Parmi d’autres mesures, la Commission s’engage à proposer un cadre pour l’étiquetage des denrées alimentaires durables couvrant les aspects nutritionnels, climatiques, environnementaux et sociaux des produits alimentaires.
POUR LA RENOVATION DES BATIMENTS
Rappelons d’abord qu’environ 75% du parc immobilier en Europe serait inefficace en énergie, alors que près de 85 à 95% des bâtiments actuels seront encore utilisé en 2050.
Le 14 octobre 2020, la Commission européenne a publié une proposition intitulée » Une vague de rénovation pour l’Europe – Verdir nos bâtiments, créer des emplois, améliorer des vies » (13). Est visé un doublement du taux de rénovation énergétique au cours des dix prochaines années, avec une création de près de 160 000 emplois verts supplémentaires dans le secteur de la construction.
Parallèlement à cette stratégie, la Commission a aussi lancé une initiative de nouveau Bauhaus européen avec 3 phases :
– une phase de conception, afin d’explorer les idées et de façonner le mouvement (rassemblant concepteurs, architectes, artistes, experts du numérique, scientifiques, entrepreneurs, ingénieurs et étudiants) ;
– une phase de réalisation, qui débutera avec 5 projets dans différents États membres, œuvrant en faveur de la durabilité, tout en étant associés à l’art et à la culture ;
– une dernière phase consistant à diffuser les idées. (14)
POUR LES PRODUITS CHIMIQUES ET LES BATTERIES
Une stratégie européenne pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques a été publiée en octobre 2020.(14) Les actions proposées ciblent en particulier :
- la mise en œuvre et le contrôle de l’application de la législation,
- le soutien à la recherche et à l’innovation,
- la consolidation de la chaine de valeur,
- la prévention de toute pollution chimique,
- la mise en œuvre de principes de l’économie circulaire.
Parmi la liste des actions envisagées (15), mentionnons comme initiatives phares :
- la suppression progressive dans les produits de consommation, tels que les jouets, les articles de puériculture, les cosmétiques, les détergents, les matériaux en contact avec des denrées alimentaires et les textiles, des substances les plus nocives, notamment les perturbateurs endocriniens ;
- la prise en considération de l’effet combiné des produits chimiques («effet cocktail») ;
- la garantie que les producteurs et les consommateurs aient accès à des informations sur la teneur en substances chimiques.
Quant aux batteries, la Commission européenne a ouvert le 10 décembre 2020 une période de consultation sur une nouvelle proposition de règlement. Cette proposition vise à mettre en place de nouvelles exigences obligatoires pour les batteries mises sur le marché européen, telles que
- l’utilisation de matériaux responsables,
- la limitation des substances dangereuses,
- la limitation de l’empreinte carbone,
- l’augmentation de la performance,
- et enfin l’amélioration du recyclage.
Par ailleurs, est lancée, depuis octobre 2017, une Alliance européenne pour les batteries. ( 18)
CONCLUSIONS
Le concept même de Pacte Vert Européen mérite d’être salué avec enthousiasme : il incorpore un tournant fondamental dans la politique européenne dans le sens d’une neutralité carbone et d’une promotion des énergies renouvelables ; il est d’autant plus remarquable qu’il embarque de nouvelles visions sur la plupart des politiques sectorielles.
D’emblée, il convient toutefois de modérer cet enthousiasme dans la mesure où le Pacte vert européen coexiste avec bien d’autres initiatives de la Commission européenne. Fondamentalement, il laisse subsister une Europe centrée avant tout sur la croissance économique, la libre circulation des biens et la compétitivité, ainsi en matière de politique agricole commune et de politique commerciale.
Quoiqu’il en soit, bon nombre d’orientations politiques positives nous semblent émerger de ce Pacte vert et de ses déclinaisons adoptées tout au long de l’année 2020.
En ce qui concerne directement la politique climatique, les objectifs chiffrés européens restent en de ça de ce qui serait indispensable pour limiter le réchauffement à moins de 2 degrés, mais il faut saluer une progression dans les ambitions. En outre, des impulsions européennes sont bien données pour que tous les acteurs contribuent aux efforts à fournir.
En ce qui concerne la biodiversité, des objectifs ambitieux se retrouvent aussi formulés au niveau européen. On doit néanmoins constater une remise en cause insuffisante de bon nombre de pratiques existantes et destructrices, par exemple dans le domaine de l’élevage industriel.
En ce qui concerne l’énergie, on relèvera une volonté européenne d’interconnexion basée sur l’efficacité et la promotion des énergies renouvelables. On se réjouira surtout de stratégies très concrètes en faveur de deux sources spécifiques : l’hydrogène vert et les énergies renouvelables en mer.
Pour l’économie circulaire, les propositions de la Commission continuent de se multiplier. On regrettera seulement la lenteur de l’imposition de véritables contraintes juridiques, sans parler du manque de clarté dans la hiérarchisation des actions et des territoires.
Quant à l’alimentation durable, elle est bien devenue un thème européen de préoccupation – ce qui en soi mérite d’être relevé – mais sans que des changements majeurs ne soient programmés dans les modes de production et de consommation.
La rénovation des bâtiments fait à juste titre l’objet d’impulsions européennes de plus en plus précises.
Finalement en termes de bilan 2020, on accueillera avec satisfaction la mise en chantier de stratégies pour le méthane, les batteries et les produits chimiques. Mais il faut admettre que le chemin en ces matières est encore très long avant d’aboutir à un véritable renouveau.
En résumé, l’Europe du Pacte vert progresse avec de nombreuses stratégies plus ou moins positives. Reste que ces stratégies ne sont que des stratégies : il est donc urgent que beaucoup d’aspects de leur contenu se traduisent en réalités concrètes !
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NOTES:
(1) COM(2019) 640 final.
(2) La Commission européenne a publié :
– le 11 mars 2020, un nouveau Plan d’action pour l’économie circulaire ;
– le 20 mai 2020, une stratégie en faveur de la biodiversité ainsi qu’une stratégie pour l’alimentation durable ;
– le 8 juillet 2020, des stratégies pour l’intégration du système énergétique et pour l’hydrogène;
– le 17 septembre 2020, un plan cible en matière de climat à l’horizon 2030;
– le 14 octobre 2020, une stratégie concernant la rénovation des bâtiments, une stratégie relative au méthane ainsi qu’une stratégie pour la durabilité des produits chimiques;
– le 19 novembre 2020, une stratégie relative aux énergies renouvelables en mer ;
– les 9-10 décembre 2020, un Pacte européen pour le climat ainsi qu’une Alliance européenne pour les batteries.
(3) COM(2020) 562 final
(4) COM(2020) 788 final
(5) COM(2020) 663 final
(6) COM(2020)380 final
(7) COM(2020)299 final et COM(2020)301 final
(8) COM(2020) 741 final.
(9) https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/fs_20_1297
(10) COM(2020) 98 final
(11) Pour une liste complète des mesures programmées, voir le document COM(2020) 98 final ANNEX
(12) COM(2020) 381 final
(13) (COM(2020) 662 final
(14) cfr :https://union-habitat-bruxelles.eu/sites/default/files/congres/field_document/bauhaus_eu.pdf.pdf
(15) COM(2020)667 final
(16) Voir la liste complète de ces actions en Annexe au document Com(2020)667
(17) COM(2020)798/3 final (18) Voir notamment : https://www.taurillon.org/une-alliance-europeenne-des-batteries-reussie?