
(JPH – 10 mai 2021)
Pour plusieurs secteurs, la politique européenne d’économie circulaire ouvre des perspectives relativement intéressantes. (1) / Il n’en va guère de même pour le secteur de l’alimentation.
Le fait est qu’un véritable changement du mode d’alimentation ne se retrouve pas au cœur des préoccupations européennes Et ce, même si la Commission indique que « plus de la moitié de la population adulte est aujourd’hui en surpoids , ce qui contribue à une prévalence élevée des maladies liées à l’alimentation (y compris différents types de cancer) et occasionne des dépenses de santé à l’avenant. » (2)
On est loin d’une stratégie européenne en faveur d’une réduction de la consommation carnée ou encore pour une remise en cause de l’élevage industriel. On est loin d’impulsions en faveur de circuits courts et de la consommation de produits régionaux de saison. La dimension de proximité ne correspond malheureusement pas avec la vision de la Commission : sa vision reste celle d’un vaste marché agricole voire celle d’un marché à dimension mondiale.
Ainsi, le plan de mars 2020 en faveur de l’économie circulaire se limite essentiellement à des renvois vers d’autres stratégies, à commencer par la stratégie européenne sur la bio-économie puis la stratégie « de la ferme à la table » qui a été effectivement adoptée le 20 mai 2020. (3)
Cette dernière Communication prévoit bien une proposition législative fixant le cadre d’un système alimentaire durable mais seulement pour la fin de 2023. Elle formule aussi quelques objectifs chiffrés non dénués d’intérêt mais de façon non contraignante, ainsi :
- réduction de 50 % d’ici à 2030 dans l’utilisation des pesticides chimiques ;
- augmentation de la part de l’agriculture biologique à 25 % de la superficie agricole totale ;
- réduction de moitié du gaspillage alimentaire aux niveaux du commerce de détail et du consommateur.
A noter que si la réduction du gaspillage alimentaire est, à juste titre, un objectif-phare du point de vue européen : encore convient-il de ne pas le comprendre comme le besoin d’augmenter les emballages pour augmenter la durée de vie des denrées alimentaires !
Le cas des farines animales est bien illustratif des limites de cette politique européenne.
En effet, avec la stratégie « de la ferme à la table », la Commission remet en débat public l’utilisation de protéines de non-ruminants et d’insectes dans l’alimentation des volailles et des porcs. Pareille proposition vise notamment à « mieux utiliser les protéines et autres matières premières pour aliments des animaux produites en Europe » en vue de réduire la dépendance de l’UE à l’égard des protéines importées de pays tiers. »
On retrouve de la sorte une vision avant tout axée sur une question de compétitivité à l’échelle mondiale. Les besoins réels en termes d’alimentation de qualité passent au second plan. Les risques même sur le plan de la santé publique – faut-il rappeler l’épisode dite des « vaches folles » – semblent oublier. (4)
Sans doute, est-il bon de réduire les importations de soja (en relation entre autres avec la déforestation de l’Amazonie) , mais ne faudrait-il pas à l’occasion ré-analyser le bien-fondé de l’ensemble de nos pratiques « industrielles » d’agriculture et d’élevage ?
Qui plus est , on peut se demander si cette proposition n’est pas en lien avec le Traité CETA conclu avec le Canada, lequel pays admet sans beaucoup de restrictions l’utilisation des farines animales , y compris dans des formes qui s’apparentent au« cannibalisme ».( Ce pays autorise que les bovins soient nourris avec certaines protéines animales transformées, issues du sang, de la peau ou du gras d’un ruminant de la même espèce. ) (5)
Certes, la Commission européenne ne va pas , à ce stade, jusqu’à prôner ce « cannibalisme » mais on peut se demander si seront toujours bien respectées les limites qu’elle pose : « appliquer des exigences strictes lors de la collecte, du transport et de la transformation de ces produits et … procéder régulièrement à des échantillonnages et à des analyses, afin d’éviter tout risque et de contribuer à la vérification de l’absence de contamination croisée avec des protéines de ruminants interdites et de recyclage intra-spécifique » !!!
En réalité, les farines animales sont déjà ré-autorisées depuis 2013 en aquaculture, et depuis 2017 pour celles issues d’insectes.
Comment s’étonner de la sorte si nos poissons goutent le poulet et si nos poulets goutent le poisson ?
En toute hypothèse, ne devrait-on pas faire évoluer le débat vers des labels différenciant les viandes ou les poissons en fonction du recours ou non à des farines animales ?
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- (1) Voir les différents commentaires y relatifs sur ce blog : « L’économie circulaire au cœur de la stratégie européenne » / aspects généraux / matériel électronique et Tic / batteries et véhicules / textiles / construction / plastiques
- (2) COM/2020/381 final
- (3) COM(2020)98 final ; COM(2020 )381 final
- (4) Fin des années 90 , des farines issues du « recyclage » des os, des abats et de la peau des animaux abattus, mais aussi de cadavres d’animaux malades avaient été identifiées comme responsable d’une épidémie, qui non seulement frappait les bovins, mais menaçait aussi les hommes.
- (5) https://www.rtbf.be/info/societe/onpdp/detail_feu-vert-pour-l-utilisation-des-farines-animales?id=10746872 ;https://www.huffingtonpost.fr/entry/comment-les-farines-animales-sont-revenues-dans-les-assiettes-francaises_fr_603807a1c5b6b745c4b5b92e
Secteur de l’alimentation (Le cas des farines animales)