
«Plan de relance fédéral: bifurquez vers la transition et la résilience!»
( Cédric Chevalier / 28/07/2020 )
Avec ou sans nouvelles élections, les différents partis qui vont mener les travaux de relance de l’exécutif fédéral dans les jours et mois à venir peuvent avoir entendu parler de l’urgence existentielle qui pèse sur nous. Cette urgence existentielle est climatique, environnementale, démocratique, sociale et économique. Mais ils peuvent ne pas (oser) y croire dans leurs tripes, tant cela impliquerait des conséquences astronomiques pour leurs membres, leur doctrine et leur politique. Du coup, nombre d’entre eux ne voient peut-être pas pourquoi ils devraient changer de paradigme de pensée, celui de la croissance économique, du pouvoir d’achat, de l’emploi et de la technoscience, en bref, le sacro-saint « Progrès ». Ils continueront à déplorer les effets dont ils chérissent les causes. Ne vivons-nous pas mieux qu’aucune autre génération avant nous dans l’histoire de l’humanité ? La Belgique ne jouit-elle pas d’une des plus hautes qualités de vie dans le monde ? Plus de progrès pour dépasser les catastrophes causées par ce même progrès ?
Comment provoquer un sursaut de lucidité dans le chef de notre gouvernement fédéral actuel et futur ? Suffit-il d’agiter la menace de destruction environnementale de l’économie et de l’emploi belge, et donc la défaite aux élections, voire la disparition de leurs partis associés à la mauvaise gestion d’une crise historique (digne de celle de 1929) ? Peuvent-ils imaginer que la Belgique se retrouve parmi les régions arriérées d’Europe, alors que la plupart des pays membres montent à bord du Green Deal européen et avancent dans la transition ? Peuvent-ils concevoir la montée de la mer du Nord, la pénurie d’eau potable, les terres agricoles stérilisées en Flandre, forêts scolytées en Wallonie, Bruxelles transformée en four solaire, industrie automobile et aérienne fermées, les prochaines pandémies déjà certaines ?
Si ces partis peinent à hisser l’exécutif fédéral, actuel ou futur, à la hauteur du moment existentiel historique, comment les citoyens, les entrepreneurs, les scientifiques et les agents du secteur publics, notamment, peuvent-ils intervenir ?
Tout d’abord en continuant à marteler l’urgence de la transition écologique juste. « Urgence », « urgence », « urgence » est le maître mot. Avec l’immensité des possibles politiques et budgétaires actuels, nous avons une fenêtre d’opportunité unique, qui se referme à grande vitesse, pour réorienter massivement l’infrastructure, le territoire, l’économie et l’emploi (le capital humain) belges dans le sens de la transition. Si nous ne le faisons pas, nous enfermerons l’économie dans une impasse fossile, un lock in pour 30 ans. Trop tard pour atteindre les objectifs de soutenabilité à 2050. Santé-alimentation-production-consommation-climat-environnement-énergie-mobilité-logement-finances forment un méga-système enfermé dans une trajectoire d’effondrement. La société et l’économie belges ne sont pas soutenables et d’autres chocs plus importants sont certains dans les prochaines années. Seule la transition augmentera notre résilience nationale. La réponse du Fédéral ne peut être qu’intégrée et systémique, et doit dépasser la pensée en silos. C’est le modèle de pensée du Plan Sophia, qui associe académiques et entreprises de la transition.
L’argument du financement est infondé si on va au fond des choses. La transition va rapporter des gains gigantesques dans tous les domaines du méga-système. L’absence de transition va générer des coûts gigantesques. Relancer la machine à l’identique nous mène mécaniquement aux pires scénarios. Nous sommes à un carrefour historique comme dans les années 1930, serons-nous la République de Weimar ou bien les États-Unis de Roosevelt ?
La relance est un bazooka à un coup. Si nous gaspillons les moyens de la relance dans l’économie fossile, nous aurons en Belgique des milliards d’actifs immobilisés (stranded assets en finance), susceptibles de succomber massivement à la « bulle fossile » à venir, avec des faillites en cascade et des centaines de milliers de chômeurs (cf. les rapports des banquiers centraux du monde entier). L’effort de relance peut et doit être entièrement affecté à la transition, et à la réaffectation de l’emploi vers la transition (via la formation et le soutien au revenu individuel). No one left behind : nous sommes solidaires des travailleurs du fossile pour les reconvertir et leur assurer une existence digne dans l’intervalle.
Il y a de nombreuses entreprises belges, PME, qui n’attendent que d’être libérées des contraintes de l’économie fossile pour se développer (comme celles de la Coalition Kaya). C’est le rôle de l’État de libérer le développement de ces entreprises de la transition. L’État doit cesser d’être le collaborateur du secteur fossile, et désormais passer plus de temps en réunion avec les entreprises de la transition qu’avec le secteur aérien, automobile et pétrochimique.
Les académiques belges sont parmi les meilleurs au monde. Ils l’ont prouvé durant la pandémie, en conseillant de près les autorités fédérales et régionales. Nous ne pouvons plus mener des politiques irrationnelles. Toute politique au XXIe siècle doit être fondée sur l’état de la science.
Les citoyens réclament de plus en plus d’être associés aux décisions des gouvernements entre les élections. Il y a un formidable élan citoyen en direction de la participation démocratique. On ne peut plus gouverner au XXIe siècle comme au XIXe siècle.
Les administrations des entités fédérées recèlent des trésors de talents et de motivation, au service du bien public. Pourtant nombre d’agents du secteur public sont employés à des tâches subalternes, qui ne servent qu’à la continuation du business-as-usual insoutenable. Le temps du top down command and control est terminé, les fonctionnaires peuvent jouer les acteurs-ponts entre les forces de la transition, devenir un Etat facilitateur.
C’est pourquoi les porteurs du Plan Sophia plaident pour que les citoyens, les entreprises de la transition, les académiques et les administrations soient étroitement associées aux efforts de conception d’un plan de relance fédéral. C’est l’esprit du Plan Sophia, à la fois sur le processus et sur le fond, une pensée systémique et intégrée.I
Concrètement, mesdames et messieurs du gouvernement fédéral actuel et à venir :
– créez un Resilience Management Group au niveau de la Première ministre (associez les scientifiques, comme pour la pandémie et pas que les économistes classiques)
– lancez une Convention interfédérale pour la transition et la démocratie (associez les citoyens : modèle Macron ?)
– impliquez en priorité les entreprises de la transition (Coalition Kaya, économie sociale, associations environnementales)
– lancez les bases d’un État facilitateur de la transition (associez les administrations, le Bureau du Plan, le Conseil fédéral du Développement durable, etc.)
– enfin, n’ayez pas peur de lancer une nouvelle donne, un nouveau contrat social pour la transition : un véritable Plan interfédéral de transition intégré et systémique entre toutes les entités fédérées, portant sur les compétences fédérales qui viennent en support des efforts des Régions.
Tant que dure l’inertie fédérale, l’urgence ne fait qu’augmenter.
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